MILIN HARO – Le Moulin du Garo

Par Bernard Petton, François DemnardAssociation Vie et Patrimoine en Pontusval – VPP

     et Christian Abaléa – Association Environnement et Patrimoine de Kerlouan – EPK

Article paru dans le bulletin de l’association Environnement et Patrimoine de Kerlouan – EPK, N°137, décembre 2022,
reproduit avec l’aimable autorisation de EPK

Fig 1 - vue du moulin du Garo et de celui du Cleguer Bihan vers 1850
Fig 2 - vue du moulin du Garo sur le cadastre napoléonien

La construction

Une carte extraite du Cadastre napoléonien (1818) nous montre la situation du moulin du Garo. Il correspond à la parcelle 1389 (fig.2).

François Caradec et son épouse Marie-Jeanne Péran, du moulin du Duc, alors en Plouider (aujourd’hui à Saint-Méen), voulaient faire construire un moulin à vent au Cléguer Bihan vers 1800. Mais le permis de construire lui fût refusé pour des raisons de sécurité militaire. Ce n’est qu’en 1818 qu’il obtint l’avis favorable du génie militaire1.

Dès 1800 il construira cependant un moulin à eau au Garo. La propriété du terrain du moulin et d’un courtil de 3,10 ares ainsi que de son étang de 16 ha en amont est attestée par le cadastre (fig. 3 et 3 bis).

L’étang qui était à l’origine, comme on le verra, une lagune sur le domaine maritime, est donc rentré dans le domaine privé du fait de l’endiguement de la route du moulin, et donc de la perte de sa communication ouverte et naturelle avec le reste de la baie.

Fig 3 et 3 bis - actes de propriété de François Caradec sur moulin, courtil et étang - cadastre napoléonien vers 1818

Une famille de meuniers

Olivier Caradec et Anne le Saos, tous deux meuniers au moulin de Constansou sur la Flèche en Plounéventer2 ont eu un fils : François Caradec (décédé en 1824). Marié avec Marie-Jeanne Péran (décédée en 1843), ils seront meuniers au moulin du Duc en Plouider (actuellement en Saint Méen), avant de venir s’installer au Garo.

Ils eurent tous deux 4 enfants, dont deux deviendront meunier :

Le moulin à vent de Cléguer-Bihan (1818-1899) : Olivier (décédé en 1852), l’aîné, marié à Marie-Jeanne Falchun (décédée en 1852), s’occupera du moulin à vent de Cléguer-Bihan dès sa construction en 1818. Suivi par son fils Jean et sa belle-fille Marie- Françoise Calvez. Son petit-fils Yves-Marie en sera le dernier meunier lorsque le moulins perdit ses ailes lors d’une tempête en 1899.

Le moulin à eau du Garo (1800-1856) : Nicolas (décédé en 1851), le benjamin, marié à Marie-Yvonne Abolier (décédée en 1847), elle- même fille des meuniers du moulin de Kéraméal en Kernouës (situé sur un affluent du Quillimadec) gérera le moulin à eau du Garo avec son père François. Nicolas et son épouse retourneront ensuite à Keraméal.

Le moulin du Garo sera vendu en 1856 à Jean Uguen de Queran.

La date de cessation d’activité du moulin se situe donc entre 1851 date du décès de Nicolas et 1856 correspondant à sa vente.

François, le fils de Nicolas, meunier avec lui au moulin du Garo, âgé alors de 37 ans partira avec son épouse à Keraméal où ils continueront leur activité de meuniers. François décèdera à Kernouès en 1863 à l’âge de 49 ans.

Brignogan : un paysage agraire et dunaire

Garo est le nom de la rivière côtière venant de Pontanezen qui a donné son nom au lieu*.

En toponymie nautique, garo (garw) correspond à des affleurements rocheux (garu en 1664) – en toponymie classique, il est assimilé à quelque chose de sauvage, âpre3.

Fig 4 - plan du cadastre napoléonien - au centre la lagune du Garo avec à droite les quartiers Est de la baie de Pontusval

Le paysage de la partie Est de Brignogan (fig.4) à l’époque d’établissement du cadastre napoléonien est bien différent de celui d’aujourd’hui : peu de maisons et beaucoup de parcelles cultivées. Toute la partie Est, vers Pontusval, est enclavée, desservie uniquement par un petit chemin de sable contournant ce moulin du Garo. D’étroits chemins de campagne menaient les habitants de Pontusval au bourg et à l’église de Plounéour-Trez.

Le bassin de Pontanezen était, avant la construction du moulin, une lagune en communication naturelle avec la baie de Pontusval, soumise comme cette dernière au rythme des marées (fig.4). La digue du moulin l’a complètement refermé.

L’édification du mur de l’Atlantique pendant la seconde guerre mondiale a stabilisé le trait de côte.

Les moulins à marée

A l’époque du cadastre napoléonien de Brignogan (1818), les moulins à marée étaient encore assez répandus en Bretagne, une centaine certainement4. Puis l’utilisation de moulins à marée déclina rapidement au cours du XXe siècle.

A Kerlouan, le moulin à eau de Kerenez a pu être qualifié parfois de moulin à marée avant le barrage de la Digue. Celui de Couffon, toujours en Kerlouan, plus proche de la mer, a pu avoir une fonction mixte aux fortes marées, combinée au courant d’une rivière à haut débit, le Quillimadec.

Fonctionnement du moulin à marée

Le fonctionnement optimal d’un moulin à marée nécessite :

  • – la présence d’un bassin de retenue (lenn) permettant au meunier de bloquer l’eau en amont de façon à utiliser le débit de façon réglière
  • – Une bonne situation sur l’estran qui permet au flux de la marée de remonter au plus haut, le plus souvent et le plus efficacement dans son cycle périodique de façon à remplir le Lenn
  • – La présence d’un cours d’eau venant ajouter du volume à la retenue pendant les périodes de mortes eaux

Le « milin ar c‘haro » remplit ces trois conditions que nous relativiserons par la suite.

Le bâtiment du moulin.

Fig 5 - photo aérienne du site de l'ancien moulin

Situé à l’origine en bordure d’estran, le moulin est maintenant à une distance d’environ 30 à 40 m. En effet cette partie de la baie a maintenant été comblée depuis le busage de la rivière Garo (environ 1974) (fig. 5).

Le site actuel comprend deux corps de maison d’habitation qui se trouvent dans le rond-point du Garo (fig.6).

Fig 6 - la maison du moulin à droite - sur cette vue la roue à aubes se situerait sur son pignon gauche
Fig 7 - le moulin du Garo avec sa roue à aubes - reconstitution selon photo

La maison de droite (côté Est) est la maison originelle du meunier. Sur son pignon Ouest était placée la roue à aubes (fig. 7).

Le bâtiment servait à la fois à l’habitation et aux activités de meunerie. L’adresse de François Caradec est bien celle du moulin. Une partie de cette maison (remise ?) fût détruite vers 1936, sur son pignon Est, pour élargir et relever un chemin destiné à améliorer l’accessibilité à Castel Régis (ex Castel Louet). En compensation pour cette occasion, un étage fut ajouté.

L’étang de retenue : un « louc’h » puis un « lenn »

 

Fig 8 - la lagune du Garo sur la carte de Cassini 18ème siècle

 Au moment de la construction du moulin, cet espace était une lagune assez ouverte sur la baie. Il aurait pu, selon les époques, être plus fermé et constituer un « louc’h », comme on le nomme en pays Pagan, c’est-à-dire un étang naturel formé par l’accumulation des eaux des ruisseaux côtiers dont l’écoulement était contrarié par des barrages de formations dunaires. Une brèche dans le cordon dunaire permettait l’écoulement des eaux en excès.

La carte de Cassini (XVIIIème) confirme une ouverture de communication très large entre la baie et la lagune (Fig.8).

A marée haute des bateaux pouvaient y entrer aisément et déposer leurs cargaisons en amont et se ravitailler en eau à la fontaine du Cosquer.

Fig 9 - situation du moulin sur le cadastre napoléonien

 

 

Le barrage du moulin en a fait un étang (lenn) d’une  superficie de 16 ha 44 a 90 ca (sources cadastrales). Il s’agit donc d’une formation artificielle, due au piégeage des eaux douces et des eaux de mer en proportion variable suivant les coefficients de marée (Fig. 9).

Le meunier se devait de diriger cette retenue d’eau vers le canal du moulin en maitrisant le débit et la hauteur de la retenue d’eau, de façon à pouvoir l’utiliser le plus souvent possible.

Moulin à marée et moulin à eau

Nous pouvons douter du remplissage de cet étang par les marées habituelles. Il fallait en effet que le coefficient soit important pour que la baie de Pontusval fût remplie au plus haut à partir d’un coefficient de marée d’environ 75.

L’écoulement des ruisseaux côtiers dont le principal venant de Pontanezen ou des sources locales assurait en revanche un remplissage régulier bien que certainement plus lent.

Le remplissage par la marée se faisait par le bief du canal. Nous ne savons pas s’il existait une écluse supplémentaire servant à la fois au remplissage et au délestage du trop-plein (kanol an dour goll).

Un étang aux usages multiples ?

Sur le plan cadastral nous sommes frappés par l’enclavement des quartiers voisins. Les petits chemins faisaient communiquer les quartiers Est de la baie entre eux, pour aller à Pontusval, au Cosquer, au Cleguer-bihan, et jusqu’au bourg de Plounéour-Trez.

Rouissoirs ?

Nous émettons l’hypothèse de l’existence, au niveau de l’étang, d’une activité de rouissage où l’on mettait à plonger les gerbes de lin pour en dissoudre la gaine.

Nous en avons des exemples à Kerlouan dans la retenue d’eau du moulin à eau de Kerenez, dans l’étang du Pont ou dans le Kour Vihan de Rudoloc par exemple5.

La pêche

 

Fig 10 - scéne de pêche à la senne dans l'étang du Garo avant 1900

Nous pouvons penser que l’étang, alimenté par les sources locales et par les remplissages réguliers de la marée, était une niche écologique favorable au développement de différentes espèces piscicoles. Cela pouvait offrir aux habitants de cette zone un surplus alimentaire non négligeable.

Après l’arrêt du moulin à marée et donc de la réouverture de l’étang sur la baie, on venait régulièrement effectuer de grands prélèvements de poissons (mulets, anguilles, carrelets…) à l’aide de sennes comme le montre cette photographie de la fin du 19ème siècle (fig.10).

L’arrêt des activités du moulin

Fig 11 - la lagune du Garo en pleine eau

Le moulin du Garo en activité sur le cadastre napoléonien (1818) (fig.11) ne l’est plus sur la carte de l’état-major (fig.12).

Cette carte dont la date d’établissement est certainement postérieure à 1856 (date de la vente du moulin à eau) montre que la retenue d’eau du Garo n’existe plus. La lagune devait se remplir cependant aux marées.

Le tracé du ruisseau côtier vers la gauche (flèche) est certainement une erreur de relevé. Il passe encore actuellement tout près de l’actuelle maison de gauche du site de l’ancien moulin.

Le moulin à vent voisin du Cleguer-Bihan y est lui bien représenté : on en voit les beaux restes encore aujourd’hui. Ce moulin fonctionna de 1819 à 1899, date où il perdit ses ailes lors d’une grosse tempête

Fig 12 - la lagune du Garo est de nouveau à sec lors de la marée basse - carte de l'état major de la fin XIXème

La raison de la fermeture de ce moulin entre 1851 et 1856, pourrait être une affaire de succession – partage entre les 3 enfants de Nicolas
Caradec (moulin à marée du Garo) en 1851.

Conclusion

 L’histoire de ce moulin est relativement brève, de sa construction en 1800 à la date de sa vente en 1856. Il a servi 3 générations de meuniers.

Ceux-ci très expérimentés et venant de moulins très divers tels Constansou, moulin au Duc, Kéraméal … ont amené ici leur savoir- faire.

L’ambition d’un homme, François Caradec, qui voulait dès l’origine un moulin à vent, a modifié dans un premier temps la physionomie du lieu en refermant la lagune qui s’ouvrait jusqu’à Pontanezen, avant que le mur de l’Atlantique ne fige encore plus durablement encore le trait de côte.

 

Fig 13 - zones vulnérables situées entre 0 et 0.30 m sous le niveau marin

L’avenir, avec la remontée du niveau des océans, pourrait voir le paysage de nouveau se modifier et peut-être revenir à son état passé, montrant ainsi la vanité des activités humaines (fig.136).

Plus de photos …

 cf. la page Les Moulins de la commune.
 

Références :

Recherches cadastrales : Archives Départementales du Finistère. https://archives.finistere.fr/ Août 2022.

Recherches généalogiques : Centre Généalogique du Finistère : https://recif.cgf.bzh/cgf.php?ctxt=0

Notes :

1 H. Jannès : Sur les origines de Plounéour-Trez. cahiers de l’Iroise n°75.

2  Manoir de Constansou : http://andre.croguennec.pagesperso-orange.fr/moulin-fleche2.htm

* Il existe également une rivière de ce nom en Guipronvel (Finistère)

3  Albert Deshayes : dictionnaire étymologique du breton, chasse-marée Ed. . 765p

4  Moulins à eau : https://fr.wikipedia.org/wiki/Moulin_%C3%A0_mar%C3%A9e

 5  Sell’ta. Guide du petit patrimoine… de Kerlouan. Environnement et Patrimoine Kerlouan Ed

6  Submersion marine en Brignogan – :https://www.clcl.bzh/images/5Environnement/Espaces_naturels/PI/sig/3D_CLCL_submersion_2019_29021/3D_CLCL_ submersion_2019_29021.html

Pontusval