Naufrage du VALERIO devant l’entrée de la baie de Pontusval en Brignogan – le 14 Juillet 1947

 
Le 14 juillet 1947, au petit matin, s’échouait sur les roches à l’entrée de la baie de Brignogan le cargo VALERIO.
 
Plusieurs articles se sont fait l’écho de cet évènement. Nous présentons ici l’un de ces articles et ci après le témoignage de P.C., alors jeune homme séjournant à Brignogan pendant l’été.
 

Quelques commentaires :

– Liberty Ship : ce nom Liberty Ship désigne les quelque 2 710 cargos construits aux États-Unis au cours de la Seconde Guerre mondiale, à la suite de la déclaration du président Roosevelt au cours de l’été 1940. Ces cargos avaient pour but de ravitailler les forces alliées, au cours de la bataille de l’Atlantique (1939-1945). On attribue le terme de Liberty Ship au Valerio – mais l’article ci après indique que le Valerio, sous pavillon italien après avoir été américain, aurait été fabriqué en 1919 … Toujours est il que le Valerio a très probablement contribué aux transports de marchandises pendant la guerre de 39 – 45.

– la localisation de l’épave a fait l’objet d’inversions et d’erreurs avec celle de La Brière. Voici la dernière localisation proposée pour le Valerio =>

– Le Valerio transportait du charbon (de Rotterdam à Cagliari en Sardaigne – indique l’article joint). Il semble que l’on pouvait trouver,  il y a encore peu de temps – plus de 70 ans après le naufrage – des boules de charbon sur la plage du Lividic ….

Voici le témoignage en 2005 d’un « ancien brignoganais » concernant le naufrage du liberty ship « VALERIO » le 14 juillet 1947

« 

Dans le pays pagan, le 14 juillet 1947 restera dans les annales des habitués de la mer. En effet, dans la nuit du 13 au 14, j’entendis avant l’aube des bruits de charrettes dont les occupants s’interpellaient en passant devant notre maison du Scluz.

Ce n’était pourtant pas encore l’heure d’aller aux champs pour les cultivateurs, ni aux casiers pour d’autres. Généralement on va à pieds à la grève. Pourquoi ces charrettes ?

Quelques minutes plus tard, je fus complètement réveillé par des bruits de gravillons jetés sur la toiture du grenier où je dormais. Je me levai et me dirigeai vers le vasistas pour apprendre par deux de mes amis qu’un bateau était arrivé à la côte : nous pourrions aller faire un tour en mer pour constater le naufrage.

Après m’être chaudement habillé –  … et mon kab gwen –  je descendis les rejoindre. Il faisait frisquet.

Heureusement, nous étions à mi-marée montante et la barque de mon ami qui ne devait pas faire plus de 3,70m à 3,80m serait à flot dans quelques instants. Nous partîmes à 2 rames et une godille pour gouvernail.

Le jour naissait et nous vîmes que nous n’étions pas les seuls sur l’eau : quatre ou cinq autres équipages nous précédaient de peu. Ils avaient laissé leurs charrettes en haut de la plage, là où se trouve actuellement le club nautique. … Nous avons navigué dans la fraicheur du jour qui se levait et au sortir de la baie, avons suivi les autres sur environ un demi-mile. Dans un léger brouillard, une grande forme sombre – la poupe – sortait de l’eau. Quant à la proue, elle était sous l’eau. Le tout s’enfonçait dans la mer à 10 ou 15 degrés.

Le bateau avait du toucher à basse mer une roche située 3 ou 4 m plus bas et l’avant devait reposer sur des roches 6 à 10 m dessous. La profondeur alentour était de 30 à 40 m.

Nous avons d’abord tourné autour du bateau. Sur l’arrière entièrement hors de l’eau, on pouvait lire la plaque VALERIO et son port d’attache en Italie GENOVA. C’était un Liberty Ship parmi les milliers de ce type que les américains avaient engagés pour le débarquement 3 ans plus tôt.

L’équipage n’était plus à bord, et nous apprîmes dans l’après-midi que, aussitôt après l’échouage, il avait quitté le bâtiment dans 2 baleinières pour accoster à Castel Régis où il avait été accueilli au milieu de la nuit.

Castel Régis était, à cette époque, une grande maison appartenant à la famille de Madame de Rodellec, et cette année-là, elle était occupée par une très nombreuse famille que nous appelions gentiment l’armée rouge, car la majorité des enfants étaient roux.

Mais revenons en mer où les Brignoganais étaient maintenant rejoints par des canots de Kerlouan et de Plounéour, ce qui provoqua un début de discussion animée. Le bateau étant arrivé à Brignogan, les Brignoganais, sans être les propriétaires de l’épave, s’estimaient prioritaires.

Le problème consistait à s’approcher suffisamment près pour sauter sur le Valerio et à se tenir, cependant suffisamment écarté pour que notre plat-bord n’accroche pas le bastingage du navire. Il y avait tout de même des creux de 1,50 m à 2 m toutes les 15 à 20 secondes. De plus, le bastingage et le pont du bateau étaient légèrement poisseux, suite sans doute à de légères fuites de mazout ou de fuel. Il fallait donc éviter de glisser, tant lors de la prise sur la bastingage qu’à la réception de nos pieds nus sur le pont en pente d’au moins 10%.

Une dizaine de canots tournaient autour du Valerio : une partie des équipages montaient à bord tandis qu’il restait une personne pour tenir l’embarcation à distance, mais pas trop loin pour recevoir un éventuel « butin ». Je me souviens particulièrement d’un unijambiste qui se tenait debout sur sa seule jambe tout en ramant légèrement afin de tenir sa position. Sur l’une des barques, une table fut placée à cheval sur les plats-bords, une autre recevait un lavabo, d’autres de la vaisselle ou des boites de conserve. Mes amis et moi recherchions plutôt des souvenirs et non des fournitures d’usage quotidien.

Si nous nous engagions avec une relative facilité sur le pont de la partie hors d’eau, nous nous aventurions cependant dans le semi pénombre des coursives jusqu’au moment où nous avions de l’eau jusqu’à la ceinture. Plus loin, le sol et les cloisons étant légèrement gras de fuel, nous courrions davantage le risque de glisser sur cette pente de 10 à 15 degrés. Ceci n’était cependant qu’un petit inconvénient par rapport à ce que, inconsciemment nous risquions : le danger de glissade générale et définitive du navire qui nous auraient tous engloutis avec lui.

Mes deux amis et moi, comme les autres équipages, nous sommes relayés avec 2 personnes à bord du Valerio et le troisième homme dans le canot afin de le conserver à distance convenable. Il n’était pas dans nos intentions de récupérer des tables, armoires ou …. de placard ou encore vaisselle ou literie, mais des souvenirs : aussi je pris les différents flammes, pavillons et drapeaux qui étaient roulés et rangés sur une étagère et comme je disposais d’une clé anglaise, je démontais les 2 feux de position rouge et vert situés à babord et à tribord et les descendais dans le canot à l’aide d’un bout. Mes amis s’intéressaient davantage aux livres et aux cartes qui étaient rangés et en bon état. Le choix des matériels était suffisamment vaste pour satisfaire chacun.

Ces excursions sur le Valerio durèrent trois ou quatre jours. Nous avons embarqué deux journalistes de l’hebdomadaire …. qui prirent énormément de photos et qui nous promirent de nous …. des exemplaires de celles-ci ainsi que l’hebdomadaire : nous les attendons encore. Pourtant cet article a bien paru car l’un de mes camarades de Brignogan est tombé par hasard sur un exemplaire de l’hebdomadaire alors qu’il faisait son service militaire quelques années plus tard à Madagascar. L’une des photos nous montre tous les trois de dos et cet article est intitulé « Jeux dangereux sur les côtes du Finistère ».

Lors de notre dernière visite à bord, nous avons récupéré … un joli feu de position en cuivre de 25 cm de haut. Ce jour-là, était arrivée avec 72 heures de retard une vedette des douanes ou des affaires maritimes, qui nous intima l’ordre de nous éloigner du navire : nous avons aussitôt obtempéré. Mais notre jeune passagère de 16 ans prit peur et jeta à l’eau le magnifique petit feu de position en cuivre « sauvé » quelques minutes auparavant. Nous avons donc quitté l’épave du Valerio sans nous sentir coupable de quoi que ce soit, les objets souvenirs étant aussi bien chez nous que promis à l’immersion au bénéfice des seuls poissons et de la rouille.

D’ailleurs, nous ne faisions que suivre les exemples familiaux car le père de l’un de mes amis comme mon propre père et son frère avaient bien récupéré en 1932 sur le navire La Brière différents petits objets et beaucoup d’oranges – fruits de luxe à cette époque. La Brière était venue à la côte à la hauteur de la balise à 150 m vers l’ouest – par fortes marées, on distingue encore différentes grandes pièces métalliques près desquelles ormeaux et crevettes prolifèrent.

Cinquante huit ans après le naufrage du Valerio, je me suis décidé à écrire ce que j’avais vécu car j’étais à l’époque avec mes deux amis parmi les quatre ou cinq « moins de vingt ans » à être montés sur le Valerio, et il se pourrait qu’il n’y ait plus grand monde de vivants témoins de ces journées. Mes deux amis sont décédés et la jeune fille de seize ans qui avait jeté à l’eau le feu en cuivre est devenue une pétillante grand mère qui a toujours le regret de son réflexe.

Le cinquième jour, le Valerio glisse sur son groupe de rochers et s’engloutit complètement. Heureusement, il n’y a alors personne à bord.

Relater quelques détails d’une petite histoire que l’on a personnellement vécue est autant un plaisir qu’une sorte de devoir – afin d’éviter qu’elle ne soit plus tard racontée par une personne étrangère qui enjoliverait les faits pour les rendre plus cocasses ou mystérieuses. Prendraient corps une nouvelle fois des inexactitudes qui peuvent être à l’origine de légendes les plus diverses ….

« 

 P.C.

Pontusval